Problème à Houston

Publié le par Benjamin Mimouni

Tenor Saw Fever

Tenor Saw Fever

Cette semaine, mon chanteur préféré est Tenor Saw, un précurseur du ragga, actif dans les années 80.

Pas facile de parler de lui tant on sait peu de choses. Même sa mort est un mystère. On y revient dans un moment...

Son vrai nom est Clive Bright, il est né en 1966. on a déjà pu le croiser en compagnie de Nitty Gritty sur l'album Tenor Saw Meets Nitty Gritty. On est bien d'accord qu'ils ne se sont pas foulé la cervelle pour sortir un titre pareil. C'est d'ailleurs Nitty Gritty qui aide Tenor Saw à entrer dans l'industrie musicale en l'introduisant chez George Phang. Le producteur lui fait enregistrer son premier single Roll Call. Tenor Saw travaille ensuite pour Winston Riley qui lui fait notamment enregistrer son plus gros tube dancehall Ring The Alarm, claqué sur le riddim Stalag 17 et considéré comme prémices du ragga. En peu de temps, Tenor Saw est devenu le roi du reggae digital et les plus grands producteurs se l'arrachent : outre George Phang et Winston Riley, on compte aussi Prince Jammy et Donovan Germain (pour une méchante chanson, une des meilleurs signée par l'un des meilleurs : Golden Hen posée comme un miracle sur le surpuissant Sleng Teng riddim de Prince Jammy, j'en ai déjà parlé il y a peu). Mais c'est finalement Sugar Minott qui produit son premier album, Fever, en 1985. Sur la pochette, on voit Tenor Saw un micro à la main, costume blanc sur fond noir, un chapeau de paille à carreaux verts et blancs enfoncé sur la tronche. L'album renferme de superbes chansons telles que Lot Of Sign, Pumpkin Belly (reprise du catalogue de Jammy), Roll Call(repris de chez Phang) et bien entendu la méchante tuerie qu'est Fever. À noter que la réédition CD est augmentée de huit versions dub.

Un flow sûr, une voix bien ronde, un gros son digital et plein d'échos, voilà le roi Tenor Saw lancé sur scène comme une balle. En 1985, personne n'est en mesure de lui disputer quoi que soit. Il est parti plus vite et plus fort que tous les autres. Il dispense ses sentences du haut de la scène :

« A house is not a home

When no one lives in there

A chair is still a chair

Even no one sits in there ».

En 1987, il quitte la Jamaïque, fait un saut à London avant de s'installer à New-York où il enregistre avec le Studio One Band de Freddy McGregor. Plus rien ne semble pouvoir l'arrêter, comme si le monde n'était pas assez vaste pour le contenir. Il veut aller plus haut, toucher l'Olympe, la lune. Et c'est justement à Houston, Texas, que sa course s'arrête net. On retrouve son corps pourrissant dans les buissons au mois d'août 1988. La date exacte de son décès est inconnue, de même que les circonstances de sa mort : accident de la route avec délit de fuite, règlement de comptes, pneumonie, les hypothèses divergentes ne manquent pas. Son corps était en train de se décomposer sur le bord d'une route en plein désert. Tout et son contraire a été raconté. La thèse la plus plausible reste celle de son mentor, Sugar Minott : une pneumonie à la con. Mais si vous voulez mon avis, et je suis sûr que vous le voulez, il est tombé du ciel. La lune était peut-être trop haute pour lui, finalement. Je l'imagine, une paille de son chapeau vert et blanc à la main, en plein désert, sans aucun vêtement, les os blanchis par le soleil et le vent, comme dans cette énigme bien connu qu'on se raconte au coin du feu.

Trois nombres pour finir : 66, 88, 22. soit l'année de sa naissance, celle de sa mort, et l'âge qu'il avait à ce moment-là. Vous remarquerez que 66 et 88 sont des multiples de 22. Comme quoi la vie, c'est souvent le bordel, mais de temps en temps tout semble bien rangé, bien ordonné. « la lyre d'Orphée ou la flûte de Krishna. Celle qui résonne lorsque le monde apparaît dans sa transparence et sa simplicité originelle. Qui l'entend, même une fois, n'en guérira jamais », pour citer Le Poisson-scorpion de Nicolas Bouvier. Mais voilà que je divague. Qui aurait cru que je me lancerai dans la numérologie mystique? La semaine prochaine je reviens avec un jeu de tarot, ou mieux, des dominos, pour mieux coller à l'ambiance jamaïcaine.

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