Godzilla et King Kong

Publié le par Benjamin Mimouni

Yellowman vs Josey Wales "Two Giants Clash"

Yellowman vs Josey Wales "Two Giants Clash"

Mon album préféré est Two Giants Clash, le disque qui renvoie dos à dos, une face chacun, deux des plus grands Djs des années 80 : Yellowman vs Josey Wales. Car c'est de cela qu'il s'agit : la rencontre de deux géants, et personne ne s'y trompe, surtout pas le génial Tony McDermott, concepteur et dessinateur de la pochette à qui le reggae doit une belle part graphique de ses galettes les plus cultes.

Yellowman et Josey Wales sont dessinés comme deux colosses plus grands que les buildings de New York, ils renversent les bus comme si c'étaient des jouets et écrasent les immenses panneaux publicitaires de Goodyear et Firestone, et se soucient aussi peu des hélicoptères et des avions qui bourdonnent à leurs oreilles que s'il ne s'agissait que d'insectes. King Kong et Godzilla arrivent en ville, et c'est autre chose que les gentils loulous de Starmania. Ils se font face, le micro à la main. Yellowman porte sa tenue de prédilection : une veste de survêtement jaune, Josey Wales est vêtu comme le personnage de western dont il a emprunté le nom : jeans et chemise.

L'album date de 1984, il a été produit par Henry Junjo Lawes à Channel One pour le label Greensleeves. Et les Roots Radics sont de la partie. Le principe est simple : 5 riddims, 10 chansons, une face du disque pour chaque artiste. À tout seigneur tout honneur, la face A est pour Yellowman. Il enchaîne cinq titres magistraux, roucoule comme à son habitude : « Hello Yellow, is that you? Exactly darling! » Toujous l'ego en avant, c'est son arme. Voilà près de cinq ans qu'il règne sur les sound-systems, autant dire qu'il est plus sûr de lui que jamais, comme si son règne devait durer toujours, et pourtant... Les ennuis vont arriver sous la forme d'un cancer de la mâchoire qui va mettre un sacré coup de frein à sa carrière. Mais pour l'instant il ne se doute de rien et fait le caïd : Society Party, Stricly Bubbling, Mr Big Shot, King of the Crop, Wrong Girl to Play With.

Puis vient le tour de Josey Wales en face B, qui livre un reggae plus spirituel (souvenez-vous qu'il vient de l'école Sturgav, le sound de U-Roy, et qu'il a traîné avec son pote Charlie Chaplin, autre star de cinéma devenue reggaeman), plus conscious. Il chante donc sur les cinq mêmes riddims que son concurrent Yellowman. Le producteur veille au grain : tout le monde se bat avec les mêmes armes. D'ailleurs ce n'est pas un combat, et à la fin il n'y a ni vainceur ni vaincu. Josey Wales envoie à son tour ses cinq titres : Bobo Dread, Mi Have Fi Get You, Cure For The Fever, Jah A Mi Guiding Star, Sorry To Say.

Dix rounds et le gong retentit. On compte les points : égalité. Fin du bal. Et fin du bon vieux dancehall que l'on connaissait. L'heure est venue du tout digital, Prince Jammy a quitté Junjo Lawes depuis un an ou deux, il affûte ses synthétiseurs et s'apprête à lancer la bombe Sleng Teng, un riddim entièrement digital, sans musiciens, créé tout seul dans son coin, et personne ne s'en relèvera. Le Two Giants Clash est donc en quelque sorte le chant du cygne d'un reggae classique, même si le mot classique ne veut pas dire grand chose quand on parle de reggae tant cette musique a évolué au cours des années. Toutefois, se débarrasser « définitivement » des musiciens représente un sacré coup de grain dans le bocal. Mais nous aurons bien l'occasion de reparler de tout ça.

Ce qu'il faut retenir, c'est que le clash n'en est pas tout à fait un. Au contraire, on a l'impression que les deux géants jouent ensemble et font bloc comme s'ils se doutaient que tout cela n'était qu'une grosse blague qui ne pouvait pas durer. Il y a le feu dans les studios. Peut-être qu'ils sont devenus trop lourds pour supporter le poids de leurs propres carcasses! Et dans un dernier sursaut d'orgueil dont ni l'un ni l'autre ne sont dépourvus, ils donnent de la voix et tentent une dernière ruade à faire s'écrouler les buildings. Ba boum!

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